responsabilités partagées
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Attention aux responsabilités partagées en matière de Justice
YVES-MAR
Y V E S - M A R I E M O R I S S E T T E
L'auteur est le doyen de la Faculté de droit de l'Université Mc Gill
Parmi les thèmes du Sommet de la Justice, tous ne sont pas neufs. Il en est ainsi
, par exemple, des lenteurs des tribunaux, de leurs coûts d'utilisation et, de façon
plus générale, des problèmes d'accès à la justice. Ces questions font régulièrement
l'objet d'articles dans la grande presse, de colloques pour spécialistes ou d'études
gouvernementales. Mais, au Québec comme ailleurs, on cherche toujours la
méthode simple, rapide et bon marché pour assurer la sanction des droits
de tous les justiciables.
Peut-être ne faut-il pas s'attendre à la trouver. Le fait qu'on n'y soit pas encore
parvenu expliquerait l'apparition de quelques idées nouvelles et critiques
à l'occasion du Sommet. Ces idées seront abordées pour la première fois dans
une enceinte publique d'envergure. Elles semblent bien provenir d'une perte de
prestige du droit.
C'est ainsi que, dans un document préparatoire, le secrétariat du Sommet énumère
les grandes préoccupations actuelles sur la justice. On y parle, bien sûr, « de
l'engorgement et l'encombrement des tribunaux, des délais qu'ils connaissent)» et
«des coûts de la justice » . Mais il y est fait état, également, de «l'envahissement
des rapports humains et sociaux par le droit» et de «l'inflation juridique et
judiciaire». D'une part, on souhaite un droit plus efficace et moins cher.
D'autre part, on veut moins de droit. Si le droit demeurait, de l'avis général,
une chose bonne en soi, pourquoi s'inquiéterait-on de cet envahissement par le
droit? S'inquiéterait-on de l'envahissement des rapports humains et sociaux
par la justice?
Face à ces derniers phénomènes, plusieurs observateurs ont déjà entrepris
une réflexion sur le sens de la justice et sur la moralité publique dans la société.
Les mêmes personnes s'interrogent, nous dit-on, sur le rôle des professions
juridiques, sur l'effet des Chartes et sur l'éducation du public Leur réflexion
fonde le projet d'une «responsabilité partagée â l'égard de la justice», que l'on
qualifie de «porte- étendard du Sommet».
En somme, c'est l'idée même de juridicité qui est mise en cause de la sorte.
On perçoit de mieux en mieux de nos jours les limites du droit. Et l'on se
demande par quels moyens on peut réaliser ses finalités (dont la plus évidente
est la justice) sans souffrir de ses inconvénients.
Obligations
Si l'on voulait être polémique, on dirait que la «responsabilité partagée à l'égard,
de la justice» est un moyen pour l'État providence, le Welfare State, de se dérober
à ses obligations. Après avoir créé chez les justiciables des attentes impossibles à
satisfaire, en multipliant les droits individuels de tous ordres (fondamentaux,
économiques, sociaux, e t c . ) , l'État s'apprête à sous-traiter au domaine privé
la mise en oeuvre de ces droits. On verra bientôt se constituer de nouvelles justices
parallèles, réservées à certains régimes de droit ou à certaines catégories de justiciables,
et confiées à des «professionnels responsables». Il y a sans doute une part de vérité
dans ce scénario pessimiste. Mais le débat qui s'amorce comporte beaucoup plus
qu'une querelle idéologique. La société commence à se méfier du droit et ne croit plus
qu'à tout problème il existe une solution juridique concrétisée par l'adoption d'un
nouveau texte de loi.
Aussi voit-on apparaître depuis quelques années dans les discussions sur le droit de
nouveaux termes comme judiciarisation et juridicisation. Le premier sert à décrire, entre
autres choses, une intensification de l'activité des tribunaux et la multiplication des
différends dont la solution est désormais confiée â des institutions judiciaires.
Le second décrit la pénétration du droit, de son langage et du raisonnement qui lui est
propre, dans des domaines autrefois vides de contenu juridique. L'un et l'autre ont des
antonymes, d é j u d i c i a r i s a t i o n et dejuridicisation, qui réfèrent à des processus
d'allégement du droit. Ces termes ont aussi plusieurs synonymes plus ou moins exacts,
telles les expressions inflation législative et déréglementation. Un langage est donc en voie
de se créer pour étudier puis gérer la croissance et la décroissance du droit.
Ce phénomène, très post-moderne, n'est pas une anomalie propre au Québec L'opinion
commune dans de nombreux pays occidentaux tient pour indéniable que le droit ne cesse
de se développer. La dynamique juridique décelable dans toutes les sociétés industrialisées
en est une de croissance irréversible du droit qui va toujours du moins vers le plus.
Cela semble tenir à sa nature profonde. Ainsi, le corpus de la jurisprudence, considéré
globalement, augmente de façon constante. Dès qu'une question est résolue, le débat
juridique se reporte sur un nouveau problème. La croissance de la législation suit depuis
plus d'un demi s i è c l e une courbe nettement ascendante
Perception
Il importe cependant de nuancer cette perception lorsqu'on recherche les causes du phénomène.
Tout d'abord, bien qu'on observe une tendance lourde et â long terme vers l'expansion
constante du droit, tout le droit n'évolue pas de la même façon. Le domaine des accidents
du travail et celui des accidents de la route ont tour à tour été déjudiciarisés au Québec; l'on
peut dire que les réformes dont ils sont issus les ont par la même occasion considérablement
déjuridicisés.
En deuxième lieu, il faut rappeler que la croissance du droit correspond à des changements
de fond dans la société. La place respective de l'Église et de l'État dans les domaines de
l'éducation et des affaires sociales, pour en donner un exemple, s'est fondamentalement
transformée au cours des trente dernières années. Il en est résulté plusieurs lois et une
importante réglementation qui juridicisc inévitablement des domaines autrefois presque
vides de droit.
Troisièmement, ces changements sont le résultat d'un processus de délibération démocratique, sont voulus par la société et viennent combler les lacunes d'un sens commun qui tolérait ce qui de nos jours passe pour de sérieuses injustices. Toutes sortes de prérogatives anciennement consacrées par le droit sont ainsi sorties de l'ombre et la juridicisation en a tempéré l'absolutisme: la puissance paternelle sur la famille et l'autorité du mari sur son épouse, les droits de l'employeur sur les salariés et plus généralement ceux du créancier sur son débiteur, les droits du propriétaire pollueur sur son bien, etc.. Or, l'émergence de droits nouveaux, surtout lorsqu'ils s'interposent entre personnes dans leurs rapports privés, est rarement à l'abri de la controverse. Les signes avant-coureur de juridicisation des rapports de séduction entre sexes, dont l'affaire Clarence Thomas / Anita Hill a fourni un exemple éclatant, le démontrent. Les consommateurs, les détenus, les handicapés, les locataires, les enfants, les personnes du troisième âge, les autochtones, les minorités ethniques et autres, les victimes de violence familiale ou de harcèlement, les assistés sociaux, sont parmi les principaux bénéficiaires récents de ces mouvements de juridicisation
Quatrièmement, l'expérience américaine ne permet pas de fonder des conclusions sur la realité canadienne ou québécoise. Il ne viendrait à l'idée de personne de citer les excès de la médecine privée américaine pour juger l'assurance-santé au Canada. Toutes choses égales d'ailleurs, le même raisonnement vaut pour le système judiciaire et le droit québécois. L'absence de jury en matière civile, les attitudes de la magistrature du Québec dans l'évaluation des dommages-intérêts (même après certains changements récents et nécessaires), le caractère inhabituel des honoraires à pourcentage (contingency fees) en droit local et l'effet modérateur considérable des frais et dépens judiciaires, l'existence de grands régimes d'indemnisation en matière autant de facteurs pertinents, sans compter les différences indéniables entre ces deux cultures processuelles et le simple état du droit de part et d'autre de la frontière canadoaméricaine
Cinquièmement, on aurait tort d'établir un rapport d'étroite correspondance ou de cause à effet entre la croissance des effectifs professionnels au sein du Barreau et les phénomènes de judiciarisation ou de juridicisation. On avance parfois la proposition selon laquelle une diminution du nombre de litiges dans la société passe par une diminution du nombre d'avocats. Or, les recherches effectuées sur l'évolution de cette profession eu dressent un portrait beaucoup plus nuance. L'image de l'avocat pilier du prétoire s'avère très peu conforme à la réalité. De plus en plus, le litige devient une sous-spécialité pointue qui n'occupe en permanence qu'une fraction très minoritaire des membres du Barreau. Une part importante du temps de l'avocat est consacrée à la négociation et la rédaction de contrats, processus qui a pour but essentiel de mener à une entente entre des parties. Dans cette culture professionnelle, le désaccord, loin d'être perçu comme le moment d'obtenir gain de cause devant le tribunal, est ressenti comme un échec.
Tendance
Ajoutons que si la perception largement partagée dans les milieux informés confirme la tendance du moins vers le plus en droit, la mesure rigoureuse des phénomènes de judiciarisation et de juridicisation continue d'être fort controversée. Les questions à ce sujet sont nombreuses. Peut-on arrêter une mesure volumétrique de la judiciarisation? Cette mesure pourrait tenir compte, par exemple, du volume général des litiges civils par le nombre ou par la valeur, ou encore du nombre d'heures travaillées dans la magistrature de tout niveau, en rapport avec des points de repère sociaux tels que le PNB, la courbe démographique, ou encore le nombre de personnes inscrites au Barreau qui déclarent effectivement exercer en matières contentieuses. Dans le même ordre d'idée, peuton arrêter une mesure volumétrique de la juridicisation? On peut retenir le nombre de pages ou, mieux encore, de mots de caractère normatif apparaissant dans la législation, la réglementation, les textes quasi-réglementaires publics ou privés (comme le règlement d'une société de transport urbain ou le tarif d'un distributeur de gaz), les décisions d'instance et les recueils de jurisprudence; le nombre de décisions publfées, ou rendues facilement accessibles par procédés informatiques et procédés de reproduction; le nombre de contrats par justiciable et la prolifération ou la régression des matières faisant l'objet de rapports contractuels. Dans les rares cas où l'on a tenté de colliger l'information pertinente au Québec, comme en matière de responsabilité médico-hospitalière, les conclusions qu'on en tire appellent d'autres études. Elles ne permettent certainement pas de conclure à une croissance effrénée du droit ou du phénomène contentieux.
Les perceptions négatives de cet ordre méritent en tout cas d'être examinées de près, et probablement pour plusieurs secteurs du droit. Cet examen est à peine entamé à l'heure actuelle. Il serait souhaitable qu'il s'accompagne d'une étude en profondeur des modes «alternatifs» (ou précontentieux) de règlement des différends, car le discours sur la déjudiciarisation prétend non seulement diagnostiquer le mal mais aussi prescrire le remède. Or, ce remède est lui aussi très controversé, et d'ailleurs plutôt à gauche qu'à droite. U va de l'intérêt de tous que le processus judiciaire soit assorti aussi souvent que possible de méthodes précontentieuses de règlement des diffé- rends, confiées de préférence à des professionnels du droit qui en connaissent les limites. Sans doute aussi va-t-il de l'intérêt collectif que les justiciables eux-mêmes soient mieux informés sur les limites du droit, qu'ils sachent qu'on ne peut attendre de lui des réponses indiscutables aux questions que l'éthique, la science ou la politique se montrent incapables de résoudre. Mais parmi les diverses méthodes de mise en oeuvre du droit, le processus de decision judiciaire doit conserver une place prééminente.
Entre-temps, il serait prématuré de traiter comme vraies les affirmations alarmistes sur l'inflation législative et judiciaire, ou d'entreprendre de vastes reformes en postulant qu'elles le sont. Procéder de la sorte confirmerait qu'en mettant de l'avant le thème d'une responsabilité partagée a l'égard de la justice, l'Etat fuit ses responsabilités.