traitement lombalgies chroniques
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Le traitement actuel des lombalgies chroniques
Texte intégral de l'article
source: http://www.jle.com/fr/print/e-docs/00/04/03/4A/article.md
Médecine thérapeutique. Volume 10, Numéro 2, 75-81, Mars-Avril 2004, Revue
Résumé
Auteur(s) : Guy Llorca , Professeur de Thérapeutique des Universités, Chef de service de Rhumatologie, Centre hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre Bénite Cedex. .
Résumé : Les lombalgies chroniques communes de l’adulte représentent un problème majeur de santé publique. Leur compréhension physiopathologique est essentielle car elle détermine le choix de la stratégie thérapeutique la mieux adaptée compte tenu des niveaux de preuve de plus en plus élevés dont nous disposons. Si les traitements médicamenteux sont le plus souvent efficaces sur l’élément douloureux à court terme, ils ne sont le plus souvent pas capables de permettre le retour à une qualité de vie souhaitable. Aucune des thérapeutiques non médicamenteuses ne peut, à elle seule, résoudre toutes les situations rencontrées. Une analyse rigoureuse permet dans la majorité des cas de mettre en évidence une dominante organique, fonctionnelle ou psychosociale. En fonction de cette dominante, une stratégie thérapeutique doit être élaborée pour permettre d’atteindre les objectifs de qualité de vie fixés avec chaque patient. Dans cette stratégie, un effort tout particulier doit porter sur la prévention du passage à la chronicité. Prévention individualisée et stratégie adaptée représentent les éléments clés du traitement moderne de cette circonstance pathologique.
Mots-clés : lombalgie chronique, traitement médical, traitement chirurgical
ARTICLE
Auteur(s) : Guy Llorca
Professeur de Thérapeutique des Universités, Chef de service de Rhumatologie, Centre hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre Bénite Cedex.
Les lombalgies communes de l’adulte, par leur fréquence et leur coût, représentent un problème majeur et actuel de santé publique. Objet de très nombreux travaux depuis plusieurs décennies, ces circonstances pathologiques ont bénéficié d’études plus systématiques ces dernières années. De ces études, sont nés des niveaux de preuve de bonne qualité nous permettant maintenant de proposer des stratégies mieux adaptées à ces situations complexes qui mêlent, à des composantes physiopathologiques différentes, des variétés problématiques très variables en fonction de l’âge, du mode de vie et des circonstances conjoncturelles rencontrées avec chaque patient. Il s’agit bien, non pas de la lombalgie, mais des lombalgies, dont le commun dénominateur est représenté par la douleur lombaire ou lombo-radiculaire, et son retentissement sur la qualité de vie.
Contexte nosologique
Données épidémiologiques
Les données disponibles sont édifiantes [1] : 8 personnes sur 10 souffrent ou souffriront de douleurs rachidiennes. Première cause de handicap dans la population des moins de 45 ans travaillant en secteur industriel, la lombalgie est la première cause de limitation d’activité chez les personnes de 45 à 65 ans et la troisième cause de handicap chronique. Son incidence est de 60 à 90 %, sa prévalence varie avec l’âge et la définition adoptée. En France, elle représente près du quart des motifs de consultation rhumatologique et 2 à 4,5 % des consultations de médecine générale [2]. Son coût annuel est considérable : environ 20 milliards de dollars aux États-Unis, 1,5 milliard d’euros en France. Le plus souvent aiguë, la lombalgie ne persiste plus de 6 semaines que chez 10 % des patients, et seulement 7 % demeureront lombalgies 6 mois après. C’est ce petit groupe de patients qui est responsable de plus de 70 % du coût de cette pathologie [3].
Données physiopathologiques
Facteurs de causalité
Trois facteurs, véritables dimensions causales, interviennent toujours de façon plus ou moins intriquée [1].
• La dimension organique, propre au patient, est liée aux altérations anatomiques et structurales rachidiennes qui peuvent être découvertes : discopathies dégénératives plus ou moins protrusives, arthrose postérieure, canal lombaire rétréci, trouble statique scoliotique, spondylolisthésis... Le syndrome trophostatique (avec surcharge pondérale, pseudospondylolisthésis acquis par arthrose postérieure, hyperlordose lombaire et cyphose dorsale de compensation avec volontiers rétrolysthésis dorso-lombaire) représente certainement une situation organique constituée des plus fréquentes en cause chez les femmes après la ménopause. À l’opposé, les anomalies mineures de charnière lombo-sacrée, les petits spondylolysthésis ou raccourcissement modérés des membres inférieurs n’ont jamais pu faire la preuve de leur rôle. Des travaux récents semblent aussi accorder un rôle aux métalloprotéases et aux cytokines dans le genèse de la dégénérescence tissulaire locale [4]. Ainsi, une nouvelle conception d’intrication de facteurs de causalité physiques et métaboliques se développe [5].
• La dimension fonctionnelle prolonge la théorie mécaniste. Elle est liée à l’inadaptation musculo-squelettique aux contraintes imposées, tant au cours du travail que des loisirs. Cette dimension est délicate à mettre en évidence car elle est liée au vieillissement des structures organiques et au vécu des patients. Ainsi, s’il est aisé de la révéler chez des sportifs de haut niveau qui ont dépassé leurs capacités habituelles, il est beaucoup plus délicat de découvrir l’inadéquation entre le niveau physiologique individuel et le niveau des contraintes imposées chez les patients habituels. En effet, une contrainte mécanique qui peut sembler banale à un patient ne l’est pas obligatoirement lorsque ses capacités locomotrices ont varié avec le temps.
• La dimension psychosociale est également toujours présente. Agissant directement sur le vécu douloureux, elle est constituée par les croyances et représentations des phénomènes lombaires, par les circonstances contextuelles, et particulièrement les difficultés psychosociales, les litiges (avec l’assurance maladie, un assureur privé, un entourage professionnel ou familial hostile...). Cette composante peut être décisive au point que toute proposition thérapeutique sera vouée à l’échec en l’absence de résolution du litige présent. Elle représente même un des facteurs essentiels du passage à la chronicité et n’est pas facilement exprimée de manière explicite.
Facteurs de chronicité
Devant la charge sociale des passages à la chronicité et la constatation que 50 % des patients en arrêt de travail depuis plus de un an et la quasi-totalité en arrêt depuis deux ans ne reprendront pas leur emploi, de nombreux travaux ont cherché à déterminer des facteurs prédictifs de chronicité. Un certain nombre de facteurs sont retrouvés par la plupart des études et sont maintenant classiques :
– facteurs personnels : sexe masculin, âge > 45 ans, variation rapide de poids ;
– facteurs liés à la maladie : antécédents lombaires, richesse d’expression, anorganicité, douleurs des membres inférieurs, importance du handicap initial, nombre de rechutes ;
– facteurs professionnels : travaux pénibles, faible qualification, inadaptation physique, mauvaises conditions de travail, faible ancienneté ;
– facteurs médicolégaux : antécédents d’indemnisation, prise en accident du travail, litiges ;
– facteurs socioéconomiques : bas niveau éducatif, difficultés linguistiques, bas niveau de ressources ;
– facteurs psychologiques : terrain dépressif, sensation d’être toujours malade.
Parmi ces facteurs, certains apparaissent plus sensibles et ont été l’objet de propositions d’indices simples d’évaluation du risque de passage à la chronicité :
– L’indice de Valat et al. [6] : la cotation porte sur 5 items (nature de la lombalgie, difficulté pour une courte marche, pour se lever d’un lit ou d’une chaise, durée de l’arrêt de travail, pratique du sport). Le risque de chronicité est faible pour un indice inférieur ou égal à 3, moyen entre 4 et 6, important au-dessus de 6.
– L’indice de Deyo et Diehl [7] : la cotation porte sur 3 items (antécédents rachialgiques, nombre d’années de scolarisation, sensation d’être toujours malade). Le score total est corrélé avec le pronostic.
– L’indice de Rossignol et al. [8] : la cotation porte sur 3 items (limitation des activités professionnelles, des activités quotidiennes, antécédents d’indemnisation). Ce questionnaire est hautement prédictif d’une incapacité totale au travail (sensibilité de 82 %, valeur prédictive positive de 28 %).
Rappel diagnostique
Dans la majorité des cas, le diagnostic est simple dès lors qu’une lombalgie spécifique est éliminée (en rapport avec une affection inflammatoire, infectieuse, néoplasique...). Il est établi sur la présentation mécanique de la douleur et doit s’efforcer de vérifier l’absence de signes de gravité radiculaire et d’éléments organiques indiscutables (degré d’une scoliose, importance d’un spondylolisthésis, recherche d’une hernie lombaire haute [9]...). La prescription d’examens complémentaires ne se justifie pas en dehors des cas où l’élément organique paraît dominant, particulièrement l’imagerie qui, dans la lombalgie commune chronique non compliquée, n’apporte pas d’élément prédictif [10]. Ces examens complémentaires sont toutefois de mise devant toute atypie sémiologique ou évolutive significative, ou éventuellement à titre médico-légal.
Cependant, établir le diagnostic de lombalgie chronique commune est insuffisant et fait entrer le patient dans une fausse entité nosologique. Le diagnostic doit s’attacher à préciser la ou les facteurs dominants qui vont permettre une interprétation physiopathologique individuelle et, ainsi, une orientation thérapeutique personnalisée.
Objectifs thérapeutiques
L’objectif principal est représenté par l’aide à la restauration ou à la préservation d’une qualité de vie satisfaisante lorsqu’elle est altérée par la lombalgie. Il doit prendre en compte, non seulement l’élément douloureux, mais aussi le handicap et les souhaits légitimes du patient [1].
Les objectifs reliés vont consister à agir sur les facteurs recensés comme dominants dans chaque situation. Ils consistent donc à agir sur l’élément douloureux, les altérations tissulaires éventuelles, les facteurs de prédisposition accessibles, les compressions radiculaires authentifiées, les troubles statiques maîtrisables, le retentissement thymique et socioprofessionnel, la compréhension du patient du phénomène douloureux [1]...
Moyens thérapeutiques
Pour atteindre ces objectifs, de nombreux moyens sont utilisables. Pris isolément, leurs niveaux de preuve sont très variables du fait de l’inhomogénéité des populations qui sont utilisées dans les études cliniques. Chacun de ces moyens conserve cependant sa place mais, devant un passage à la chronicité, ils doivent être proposés dans le cadre d’une stratégie personnalisée.
Moyens médicamenteux
Les antalgiques sont tous actifs sur la douleur lombaire mais ne peuvent, à eux seuls, résoudre le problème des douleurs chroniques et du handicap induit. Leur utilisation doit respecter les contre-indications et se limiter aux épisodes aigus ou à des durées limitées, pour éviter une accoutumance. Il en est de même des opiacés qui peuvent servir à passer un cap particulièrement douloureux, mais ne sauraient résoudre le problème chronique.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont également actifs [11]. Là aussi, il faut préférer les produits les mieux tolérés (anti-Cox2 sélectifs), en administration limitée dans le temps et en respectant les contre-indications. La corticothérapie par voie générale peut être utilisée à l’occasion de poussées névralgiques particulièrement douloureuses, mais alors en cures courtes et décroissantes sur quelques jours. Elle n’a pas sa place au long cours.
Les myorelaxants ont été récemment évalués de manière exhaustive [12]. Un nombre satisfaisant d’études de qualité est disponible et permet d’affirmer que leur efficacité est supérieure au placebo sur de courtes périodes et lors d’épisodes aigus. Il ne semble pas exister de différence d’efficacité entre les classes disponibles. On ne peut actuellement répondre à la question de leur comparaison aux antalgiques habituels. Sont utilisables : une benzodiazépine (tétrazépam ou Myolastan®, Panos®) et des substances non benzodiazépiniques (acide uridine-5’triphosphorique ou Uteplex®, adénosine triphosphate ou Atepadène®, méphénésine ou Decontractyl®, méthocarbamol ou Lumirelax®, thiocolchicoside ou Coltramyl®, Myorel® et Myoplège®). Les contre-indications de ces substances doivent être respectées impérativement (effets centraux des benzodiazépines, porphyries pour la méphénésine, myasthénie pour le méthocarbamol...).
Les anti-dépresseurs ont été réévalués récemment en ce qui concerne leur effet antalgique [13]. Ces substances semblent bien développer un effet antalgique réel dans les lombalgies, indépendant de leur effet anti-dépresseur (particulièrement pour les molécules sérotoninergiques-noradrénergiques). Leur effet antidépresseur est également souvent souhaitable en matière de lombalgie chronique.
La vitamine B12 a aussi démontré sa supériorité par rapport au placebo en matière d’effet antalgique dans cette indication [14].
La phytothérapie a également été testée. Les extraits de saule semblent plus efficaces que le placebo et d’une efficacité comparable à celle du rofecoxib [15].
Les injections locales de corticoïdes sont l’objet de résultats contradictoires : l’étude de Tonkovich-Quaranta et al. [16] s’inscrit pour une efficacité, celle de Nelemans et al. [17] conclut à une insuffisance de preuve tout en admettant une efficacité de courte durée. L’étude de Hildebrandt [18] semble indiquer que les blocs nerveux et injections de corticoïdes ont un intérêt chez certains patients chroniques ayant des douleurs monoradiculaires et dans le cas du syndrome de la facette postérieure. Ces injections ont un effet plus net si elles sont réalisées avec guidage fluoroscopique. En revanche, leur utilisation à titre diagnostique ne semble pas être assez spécifique et sensible.
Moyens non médicamenteux
Le repos a été récemment l’objet de controverses. La revue systématique réalisée par Hagen et al. [19] ne retrouve pas d’effet manifeste du repos, tout du moins dans les cas d’accidents lombaires aigus. L’étude de Rozenberg et al. [20] parvient aux mêmes conclusions d’équivalence du repos et de la persistance d’activité en phase aiguë. Ces données s’inscrivent pour une limitation des prescriptions de repos en phase aiguë. En revanche, l’étude systématique menée par Jellema et al. [21] s’inscrit pour un intérêt de l’immobilisation relative segmentaire en corset lombaire. Cette immobilisation, à court terme, ne détériore pas la mobilité lombaire [22].
Aucune des revues systématiques récentes ne s’inscrit pour une efficacité manifeste de l’acupuncture dans cette pathologie [1]. En revanche, cette technique peut être utile dans certains cas où l’on souhaite diminuer les traitements médicamenteux au long cours, particulièrement à partir d’un certain âge.
Dans leur revue systématique, Gadsby et Flowerdew [23] concluent à un intérêt de l’électrostimulation transcutanée et de l’électro-acupuncture, au moins à court terme. La méta-analyse effectuée par Brosseau et al. [24] ne parvient pas à conclure en matière de lombalgies chroniques. Villavicencio et al. [25] semblent s’inscrire pour une supériorité de l’implantation directe de l’électrode par laminectomie.
La masso-kinésithérapie et la réadaptation fonctionnelle ont été l’objet de nombreux travaux. En matière de massage, la revue systématique de Furlan et al. [26] s’inscrit pour leur efficacité dans la lombalgie chronique. En matière de rééducation, la revue systématique effectuée par Van Tulder et al. [27] et les travaux de Hurwitz et al. [28], indiquent que, si l’exercice est efficace, il ne semble pas exister de différence entre les méthodes utilisées. Cette conclusion n’est pas partagée par tous [1]. Là aussi, cette thérapeutique ne peut à elle seule suffire [26]. Hides et al. [29] concluent à l’intérêt des exercices spécifiques. Hutten et al. [30] s’inscrivent pour des différences en fonction des types de patients. La place des manipulations rachidiennes est toujours controversée. Certainement actives lors de poussées aiguës [31], elles ne doivent être effectuées qu’à titre complémentaire et par des médecins compétents.
La réadaptation comportementale a été démontrée comme efficace dans la lombalgie chronique, tant en traitement à visée préventive [32] que curative [33].
Si l’éducation rachidienne et locomotrice représente un élément essentiel de la thérapeutique comportementaliste, les écoles du dos sont d’évaluation plus délicate. Si les données les concernant sont souvent contradictoires du fait des différences des traitements proposés, la revue systématique de van Tulder et al. [34] et l’étude de Hsieh et al. [35] s’inscrivent pour une efficacité réelle de cette approche au sein des méthodes dites conservatrices. Cependant le rapport coût/efficacité de ces écoles n’est pas établi.
La place de la crénothérapie est plus difficile à préciser du fait des différences de stratégies utilisées, mais certaines études lui reconnaissent un intérêt [36].
L’adaptation professionnelle représente un élément indispensable, chaque fois que cette dimension est en cause [37].
Les thérapeutiques intra-discales, qu’il s’agisse de chimionucléolyse à la papaïne ou à la collagénase, de discectomie percutanée, de destruction laser ou de thermonucléolyse, ont été développées comme alternatives à la chirurgie discale. Les résultats à moyen terme sont voisins de ceux de la chirurgie discale [38]. La thermonucléolyse au SpineCat® semble également efficace [39].
De nombreuses techniques chirurgicales ont été développées dont certaines seulement ont pu être comparées [40]. Le remplacement discal donnerait des résultats acceptables dans 50 à 80 % des cas [41], de même certains plaident pour l’utilisation de cages intersomatiques [42]. La discectomie demeure la technique la plus simple et ses résultats semblent comparables à ceux obtenus par la discectomie percutanée dans des mains entraînées [43], discectomies qui peuvent aussi être couplées [44]. En fait, les bons résultats chirurgicaux sont obtenus pour les patients à dominante mécanique évidente et opérés rapidement après échec du traitement médical [45]. L’étude récente prospective de Fritzel [40] s’inscrit toutefois pour la supériorité de la chirurgie par rapport au traitement conservateur pour certains lombalgiques chroniques. Évidemment, la chirurgie retrouve toutes ses indications pour les canaux étroits décompensés [46, 47] et les spondylolysthésis évolutifs [48].
Indications et stratégies
La lombalgie chronique représente un ensemble de situations à dominantes variables qui ne saurait répondre à une stratégie thérapeutique univoque [1]. Selon la dominante principale, on peut distinguer trois stratégies très différentes.
Devant une dominante organique
La réalité et la localisation du conflit disco-ligamento-radiculaire doivent être démontrées. La prescription d’examens complémentaires s’impose, particulièrement en matière d’imagerie par résonance magnétique nucléaire. Devant un conflit d’origine discale, lorsque l’imagerie est parfaitement concordante, l’intervention discale est indispensable pour les radiculalgies véritablement hyperalgiques, paralysantes, récidivantes et les syndromes de la queue de cheval. Dans les autres cas, l’attitude interventionniste ne doit être mise en œuvre que devant un échec du traitement médical conservateur bien conduit, comportant un repos de bonne qualité et un traitement antalgique efficace. Le choix de la technique dépend directement des possibilités locales évidemment. De manière générale, le traitement à visée discale doit demeurer le plus simple possible et ne réserver les interventions lourdes, du type arthrodèse ou remplacement discal, qu’aux échecs avérés du traitement conservateur et de la disco-intervention simple, en s’entourant du maximum de données susceptibles de démontrer la réalité du rôle du conflit dans l’entretien de la symptomatologie.
Le traitement des anomalies statiques significatives s’impose également lorsque la preuve de leur rôle a été apportée (décompensation d’une scoliose, progression d’un spondylolysthésis, décompensation d’un canal étroit, syndrome de la facette postérieure amélioré par une infiltration mais récidivant...).
Devant une dominante fonctionnelle
L’absence de conflit organique concordant doit faire évoquer cette dominante. Sa démonstration n’est pas toujours simple et nécessite un interrogatoire minutieux et orienté, effectué par un médecin entraîné. Dès lors, trois attitudes sont possibles :
– Le réentraînement à l’effort qui cherche une « reprogrammation » est de mise lorsque l’insuffisance physiologique est liée à une décompensation progressive par insuffisance d’entretien musculaire. C’est le domaine de la rééducation personnalisée, qui doit aider à minimiser les facteurs de décompensation existants tout en cherchant à motiver un changement de mode de vie.
– L’adaptation du poste de travail et des loisirs aux nouvelles données physiologiques est indispensable lorsque l’insuffisance physiologique est liée à un vieillissement naturel et normal. C’est le domaine de la thérapeutique à visée comportementale.
– Le surmenage rachidien, s’il est constaté, doit être combattu par l’éducation rachidienne adaptée. Souvent le fait de sportifs ou de personnes hyperactives qui ne veulent pas prendre conscience de la diminution naturelle de leurs capacités, cette stratégie, pour être efficace, doit d’abord convaincre puis proposer des solutions personnalisées qui prennent en compte la poursuite des objectifs majeurs et raisonnables de qualité de vie fixés avec ces patients.
Devant une dominante psychosociale
En l’absence d’organicité avérée et de cause fonctionnelle patente, le rôle d’un état dépressif doit être abordé. Dans ces cas, souvent interprété comme secondaire à la douleur par les patients, ce rôle doit être analysé pour démontrer sa préséance et son importance. Le traitement de l’état dépressif est souvent, ici, déjà suffisant pour relancer l’activité et permettre, par une démarche complémentaire de reprogrammation locomotrice, d’éloigner les phénomènes lombalgiques.
Lorsqu’il existe un litige, les éléments objectifs du litige doivent être mis à plat de la manière la plus explicite possible. Tout doit être mis en œuvre pour obtenir une résolution raisonnable, rapide et acceptée du litige. Ce principe représente la base de la stratégie thérapeutique car, en son absence, l’échec thérapeutique est assuré. Encore faut-il que le patient en cause soit de bonne foi et ne recherche pas une indemnisation abusive ou déraisonnable.
Dans ces cas de dominante psychosociale, il est fréquent de constater une incompréhension quasi totale de la physiopathologie lombaire. Cette incompréhension, mêlée aux croyances populaires de toutes sortes, induit une représentation particulièrement anxiogène. L’explication simple et métaphorique des éléments physiologiques et de la part respective des différentes dimensions est presque toujours à l’origine d’un changement immédiat de perception douloureuse, au point que ces patients demandent immanquablement pourquoi tant de temps a été nécessaire pour que ces explications leur soient fournies !
É ducation rachidienne
Elle a une place importante en matière de prévention primaire et secondaire. Systématique, elle doit rappeler, à tous, la prévalence de la lombalgie et la nécessité d’un entretien musculaire et pondéral correct tout au long de la vie. Effectuée soit au sein d’écoles du dos ou à l’occasion des consultations et des séances d’exercices rééducatifs, cette éducation représente certainement un élément capital du traitement des lombalgies et de la prévention de leur passage à la chronicité. À elle seule, elle justifie déjà le recours à des personnels de soin spécialisés ne se contentant pas seulement d’apprendre à se baisser, mais susceptibles d’apporter les éléments cognitifs adaptés à chaque situation.
Conclusion
Les lombalgies chroniques ne peuvent répondre à une thérapeutique unique du fait de leur diversité étiopathogénique. Les études systématiques actuelles permettent de situer chaque proposition thérapeutique en fonction de sa probabilité d’efficacité dans un contexte singulier donné. La démarche thérapeutique ne peut valablement procéder qu’à partir d’une adaptation individuelle qui débute par la prévention primaire devant l’apparition de facteurs de risque validés, puis se poursuit, devant toute manifestation aiguë, par la recherche des facteurs prédictifs de chronicité et, lorsqu’ils sont présents, par la mise en œuvre la plus rapide possible des stratégies les mieux adaptées à chaque cas en fonction des dominantes pathogéniques détectées. Seulement ainsi ce problème majeur de santé publique a des chances d’être contrôlé et, peut-être, solutionné dans l’avenir.
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