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- Lignes sans frais: attention aux erreurs -


27 février 2007 - Les citoyens utilisent souvent les lignes sans frais des gouvernements pour poser des questions sur les impôts ou les prestations de vieillesse, entre autres, des domaines régis par des lois très complexes. Peuvent-ils se fier aux réponses que donnent les fonctionnaires? Si ces derniers donnent une mauvaise réponse, le gouvernement assumera-t-il sa responsabilité?

Journaliste: Pierre Craig
Réalisateur: Luc Tremblay
Journaliste à la recherche: Claude Laflamme

extrait [Regarder le reportage]

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« Je l’aurais eu, ce 3000 $, si j’avais eu la bonne information au départ. J’ai pris la peine de m’informer à part de ça. Je pense que c’est encore vrai, la consigne de ne jamais admettre qu’on a fait une erreur! »
- Gilbert

« C’est le cas typique d’une personne qui a été mal informée et qui doit se débattre avec un paquet de problèmes administratifs, tout ça à cause d’une mauvaise réponse d’un premier fonctionnaire. »
- Le comptable agréé et planificateur financier Éric Brassard


L’utilisation de la ligne sans frais du programme de la Sécurité de la vieillesse équivaut-elle à un coup de dés? C’est ce que croit Gilbert, un retraité de Val-David.

En janvier 2005, alors qu’il avait 64 ans, il s’est mis à se poser des questions sur le Supplément de revenu garanti du gouvernement fédéral, une prestation qui assure un revenu minimum aux retraités canadiens. Il approchait du moment où il aurait droit à la pension de la Sécurité de la vieillesse et ses revenus modestes lui donnaient aussi droit au Supplément en question.

Or, Gilbert souhaitait encaisser une partie de son REER. Avant de le faire, il voulait s’assurer que cela ne diminuerait pas le montant de Supplément de revenu garanti auquel il avait droit. Il a donc composé le numéro sans frais de la Sécurité de la vieillesse.

« On m’a répondu que oui, ça affecterait le montant, mais que je pouvais faire une déclaration en 2006 avec mes revenus anticipés pour 2006 et qu’à ce moment-là, on calculerait mes prestations d’après ces revenus anticipés. »

En clair, on ne tiendrait pas compte de l’encaissement du REER et il aurait droit à sa pleine prestation du Supplément de revenu garanti.

Mauvaise surprise

Six mois plus tard, au moment de remplir sa demande de Supplément de revenu garanti, Gilbert a toutefois une très mauvaise surprise. Il commence à comprendre que, parce qu’il a encaissé une partie de son REER, il n’aura sans doute pas droit à la pleine prestation.

Il joint de nouveau une fonctionnaire de la ligne sans frais de la Sécurité de la vieillesse. Elle lui dit qu’il est trop tard, qu’il a encaissé une partie de son REER et qu’il ne peut donc pas obtenir la pleine prestation.

« Il est très fréquent qu’en première ligne, à la première question que l’on pose lorsqu’on appelle, il y ait des réponses erronées, des réponses vagues ou qu’on se comprenne mal », affirme Éric Brassard, un comptable agréé et planificateur financier qui utilise très souvent les lignes sans frais des gouvernements.

Ce dernier ne compte plus les mauvaises informations qu’il a reçues. Chaque fois qu’il téléphone, il demande donc aux fonctionnaires de lui envoyer un document ou de lui indiquer un site Internet où l’information est écrite noir sur blanc pour qu’il puisse la contre-vérifier.

Même son de cloche du côté de la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ), dont les membres cherchent fréquemment à obtenir des informations sur la Sécurité de la vieillesse.

« Souvent, il faut appeler à plusieurs reprises. On a même vu des cas où, d’un appel à un autre, on ne pouvait pas corroborer l’information », soutient Karine Genest, directrice des programmes à la FADOQ.

Prestation amputée

Gilbert a compris lui aussi qu’il ne pouvait se fier au service téléphonique sans frais. Il s’est donc rendu au bureau de Ressources humaines et Développement social Canada à Sainte-Agathe-des-Monts.

Le fonctionnaire qu’il a rencontré lui a confirmé l’information qu’on lui avait donnée à son premier appel à la ligne sans frais, soit que le fait d’encaisser une partie de son REER en 2005 n’affecterait pas le calcul de sa pension en 2006. Il a même calculé approximativement la prestation du Supplément de revenu garanti que Gilbert retirerait.

Ce fonctionnaire se trompe. L’encaissement d’une partie de son REER réduit le montant de Supplément de revenu garanti auquel Gilbert a droit.

Malgré cela, en février 2006, une autre fonctionnaire lui fait remplir un formulaire qui lui laisse croire qu’il aura droit à sa pleine prestation de Supplément de revenu garanti. Ce n’est qu’en avril 2006, juste avant de recevoir son premier chèque de pension, que Gilbert comprend qu’il a été mal informé.

Sa prestation pour 2006 est amputée de 3000 $.

« On m’a dit que c’était refusé, que la fonctionnaire n’avait pas d’affaire à me faire remplir ce formulaire-là. »

Demande rejetée

Gilbert commence alors à se documenter sur Internet. Il découvre l’article 32 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, qui permet au ministre de corriger la situation d’une personne privée d’une prestation à la suite d’un avis erroné.

« Je ne demande pas de réinterpréter la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour les prestations. C’est juste que j’ai eu un avis erroné qui fait que j’ai encaissé un REER que je n’aurais pas encaissé autrement », explique-t-il.

À l’automne 2006, le ministère réexamine son cas. Sa demande est rejetée. Le ministère estime qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour démontrer qu’il a reçu un avis erroné.

Ressources humaines et Développement social Canada lui écrit: « Puisque vous avez communiqué avec nous par téléphone et en personne à au moins sept reprises, il est très peu probable qu’il y ait eu un avis erroné de la part de tous ces agents ».

« Très peu probable ne veut pas dire zéro probabilité. En disant ça, ils admettent que ça peut arriver, estime Éric Brassard. Le problème, c’est que si ça arrive avec le premier fonctionnaire, les autres ont beau tous avoir la bonne réponse, si le premier il s’est trompé, il s’est trompé. »

Des erreurs en première ligne arrivent plus souvent qu’on l’imagine. En 2001, le Vérificateur général du Québec a étudié le taux d’erreurs de la ligne sans frais de Revenu Québec. Il a constaté que plus de 36 % des réponses fournies étaient erronées. Ressources humaines et Développement social Canada n’a pour sa part jamais fait de sondage interne sur le taux de réponses erronées.

« Il faut vraiment contre-vérifier ou demander quelque chose d’écrit », conseille Éric Brassard.

Qui a mal compris?

Éric Brassard
Le ministère fédéral a refusé que les entrevues accordées par quatre de ses fonctionnaires à La facture soient filmées ou enregistrées. Il admet qu’il est possible que Gilbert ait reçu un avis erroné, mais puisque les appels ne sont pas enregistrés, il n’y a aucun moyen de le prouver.

« [Gilbert] est quelqu’un qui comprend bien. Il a pensé à son affaire un an à l’avance pour s’informer comme il faut, souligne Éric Brassard. De prime abord, j’ai un préjugé favorable envers son aptitude à gérer des réponses. »

« Avoir eu besoin de corroborer ou de vérifier l’information auprès de sept personnes, il y a déjà là un problème, ajoute Karine Genest. Si cette personne a dû corroborer sept fois l’information, c’est qu’elle ne devait pas en être satisfaite. »

« Si j’ai mal compris, ils ont mal compris à Sainte-Agathe aussi, conclut Gilbert. Parce qu’ils m’ont même fait remplir les formulaires avec les chiffres que je leur ai donnés. Alors, qui a mal compris? »

Un seul recours: la Cour fédérale

L’enquêteur du ministère n’a interrogé aucun des fonctionnaires que Gilbert a rencontrés à Sainte-Agathe avant de rejeter la demande de révision de ce dernier. Seul le premier appel était important. Au bout du compte, il est donc impossible de faire la preuve d’un avis erroné. Et en l’absence de preuve, le ministère refuse de donner le bénéfice du doute au citoyen.

« À partir du moment où on fait une première erreur et que [Gilbert] encaisse son REER, ça devient irréversible, administrativement parlant. On ne peut plus s’en sortir, sauf s’il y a une ouverture pour aller au-delà des formulaires », indique Éric Brassard.

La seule possibilité qu’on offrait à Gilbert était d’intenter une action en révision judiciaire à la Cour fédérale, une procédure extraordinairement complexe pour un simple citoyen.

« Quand j’ai appelé à la Cour fédérale, la dame m’a dit: ''Vous pourriez peut-être prendre un avocat''. Prendre un avocat pour 3000 $, franchement! J’ai abandonné. »

En conclusion

Ne vous fiez pas à un avis verbal. Demandez toujours une référence écrite dans un guide ou dans le texte de la loi qui vous concerne. Demandez et notez le prénom et le nom du fonctionnaire qui vous répond. Au fédéral en tout cas, ils sont tenus de vous les donner.

Devrons-nous nous résoudre à enregistrer ces appels? C’est la question qu’on peut se poser.
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